Test : pas de révolution pour Civilization 2

Mickaël Bazoge |

Il est singulier de voir trôner en gros sur les bandeaux de pub vantant Civilization Revolution 2 [1.0.0 – Français – 13,99 € – iPhone/iPad – iOS 7 – 428 Mo - 2K] le prix du jeu. Un tarif premium (13,99 €) peu courant sur l’App Store, et qui fait ici figure de véritable argument de vente pour 2K Games.

Il est vrai que les jeux basés sur le modèle freemium (téléchargeable gratuitement, mais avec des micro-paiements) ont réussi à dégoûter bon nombre de joueurs à force de multiplier les entourloupettes pour mettre continuellement la main à la poche (l’exemple du ratage avoué de Dungeon Keeper est d’ailleurs significatif).

En agitant son prix comme un étendard sous lequel les joueurs plus exigeants pourront se rallier, le message du studio est clair : Civilization Revolution 2 s’adresse à ceux qui n’ont pas peur de s’investir sérieusement dans un jeu, aussi bien financièrement qu’en matière de temps passé. Le paradoxe ici est qu’au niveau de la jouabilité, ce Civilization se destine d’abord et avant tout aux joueurs les plus « casual », ceux qui ont été biberonnés aux parties éclair d’Angry Birds et autres Cut the Rope. Les règles de la série Revolution sont simplifiées par rapport au jeu original, en particulier tout ce qui concerne la gestion économique, prise en charge pratiquement au complet par le moteur du jeu.

De fait, ce nouveau Civilization sonne tout aussi basique que son prédécesseur sorti sur iOS en 2009. Le jeu représente néanmoins une porte d’entrée vers l’univers vaste, riche et complexe des jeux de stratégie. Cela vaut-il le prix demandé ?

Mouhahahahaha je suis le maître du mooonde

Civilization Revolution propose au joueur d’accomplir son ambition de démiurge : bâtir une civilisation à partir de rien ou presque. De fait, après le choix d’un leader (de Napoleon à Kennedy en passant par Cléopâtre) qui influe sur certaines caractéristiques de sa civilisation, le joueur démarre avec des colons qui auront pour mission de construire la première ville du futur empire. Il s’agit de choisir l’emplacement au mieux, c’est-à-dire celui qui offrira une ouverture sur la mer, tout en comptant aux alentours suffisamment de ressources qui aideront à produire toujours plus d’unités, de bâtiments et de merveilles. Au fil de la partie, le joueur aura à faire avec d’autres civilisations, avec lesquelles il pourra rentrer en conflit ou discuter diplomatie. Le but étant évidemment de créer un empire rayonnant, vaste et respecté, que ce soit par le fracas des armes ou la puissance du « soft power » culturel.

Le jeu débute en l’an 4 000 avant JC, pour se projeter jusqu’au 22ème siècle. Selon sa progression, il sera possible d’opposer des tribus barbares à des armes modernes, ce qui est une des marques de fabrique amusante du jeu. Le titre se déroule au tour par tour, avec de plus en plus de décisions à prendre au fur et à mesure qu’augmente le nombre de villes et d’unités.

Comme dans tout bon jeu de stratégie qui se respecte, il est au départ parfois ardu d’établir une stratégie cohérente, mais après l’expérience de quelques heures de jeu, on commence à saisir certaines des subtilités et des mécanismes de ce Civilization — et de sa profondeur. On apprécie de pouvoir donner une certaine teinte à son empire : plus culturel, plus bagarreur, plus technologique… Il faudra cependant se méfier de la spécialisation à outrance : que vaut une civilisation entièrement vouée à l’épanouissement culturel si elle ne dispose d’aucune armée pour se défendre ? Et quel est le plaisir de jouer toujours les gros bras, en laissant ses citoyens à l’état de « primitifs » ?

Une civilisation à sa main

Le contenu proposé, des nombreux bâtiments et merveilles à l’arbre des technologies, est impressionnant et justifie une partie du prix demandé. On frissonne à l’idée — qui a sans doute effleuré l’esprit de 2K Games — que l’éditeur aurait pu proposer des micro-paiements pour débloquer toute cette richesse.

En plus du mode « Carte aléatoire » traditionnel, Civilization 2 comporte un éditeur de scénarios dans lequel on peut régler finement tous les réglages du jeu : année de départ, condition de la victoire, avancée technologique, vitesse des unités, etc. Couplé avec le niveau de difficulté (cinq niveaux possibles), cela donne des parties toujours riches et différentes.

L’intelligence artificielle du jeu n’est pas si mauvaise, exception faite des deux premiers niveaux qui n’offrent pratiquement aucune résistance, y compris pour les débutants. Rien ne remplace cependant la rouerie et l’intelligence d’un joueur humain, et on ne peut que regretter l’absence d’un mode multi — si cela se comprenait en 2009, c’est franchement incongru aujourd’hui. Le premier opus, régulièrement mis à jour par son éditeur, s’est ouvert au multijoueurs à la faveur d’une mise à jour, on peut donc garder espoir.

Afin de varier les plaisirs, Civilization 2 comprend aussi un mode Scénario très intéressant : il propose au joueur d’embarquer dans une histoire avec un objectif précis. Il peut s’agir de récolter le plus rapidement possible un maximum d’or, de batailler continuellement, de développer la culture au maximum… Le tout avec des contraintes, comme des civilisations déjà formées ou un certain volume de ressources disponible. 2K Games pourrait bien continuer à apporter du contenu neuf au travers de nouveaux scénarios.

Enfin, et cela ne gâche rien, la réalisation graphique a fait un bond de géant entre les deux opus du jeu. Si le premier se contentait de graphismes en 2D (mignons certes), ce nouveau volet offre une carte, des personnages, des bâtiments et des effets plus modernes et en 3D. C’est plus agréable à l’oeil, le zoom est sympathique (mais révèle rapidement des textures somme toute assez pauvres), mais la lisibilité de certaines séquences en pâtit… En particulier lorsqu’il y a beaucoup d’éléments présents : il devient alors difficile de viser juste.

Des défauts dans la cuirasse

Ces atouts ne doivent cependant pas masquer les déficiences d’un jeu loin d’être parfait. Outre l’absence du multi déjà évoqué plus haut, l’ergonomie du jeu se montre parfois délicate. Il est souvent peu évident de « viser » correctement un emplacement, et plus souvent qu’à son tour on enverra par inadvertance une unité à l’autre bout de la carte. Le titre se mélange un peu les pinceaux par moment : afin d’accéder aux personnages célèbres et aux monuments d’une ville, il faut poser deux doigts sur la carte, alors qu’un bouton aurait été bien plus efficace. Dans les menus, on aurait apprécié le support du mouvement qui permet de passer au panneau précédent d’un geste du doigt (plutôt que le vilain bouton Retour). L’ergonomie de ce Civilization est toutefois supérieure à celle de son prédécesseur, ce qui n’était pas non plus trop difficile.

Certaines unités et bâtiments restent obscurs : quelles sont les différences entre un légionnaire et un guerrier ? Quel est le rôle des miliciens ? Combien d’unités peut-on embarquer dans un galion ? Si le jeu comprend une encyclopédie entièrement francisée (et plutôt intéressante avec des anecdotes et des faits historiques), elle renseigne finalement assez peu sur les compétences et les capacités des différents éléments du jeu.

La simplification de la série Revolution pose aussi quelques problèmes : l’absence ou presque de gestion économique, celle de la mesure de la satisfaction des citoyens (en dehors des quelques phrases toutes faites des conseillers), l’impact limité du choix d’une idéologie politique (les leviers économiques sont pourtant très différents entre une démocratie et une dictature) retirent au jeu quelques-uns des aspects passionnants de son grand frère de bureau. Mais nous ne sommes évidemment pas devant un ordinateur traditionnel. À tous ceux qui veulent rentrer dans le dur du jeu de stratégie, on peut par exemple conseiller le très austère mais beaucoup plus complet (et complexe) Democracy 3 [1.14.1 – US – 8,99 € – iPad – 41,5 Mo - Positech Games].

Le défaut le plus important que l’on peut imputer à Civilization Revolution 2 est le peu de différences avec son prédécesseur, sorti il y a cinq ans. 2K Games avait annoncé un jeu vraiment optimisé pour les écrans tactiles, ce qui n’est vrai qu’en partie (voire les problèmes d’ergonomie soulevés plus haut). L’éditeur s’est bien retenu d’annoncer une évolution plus profonde du concept, et c’est finalement ce qu’on récupère : le même jeu avec des unités et des objets supplémentaires, avec une couche 3D.

Pour conclure

Civilization Revolution 2 a les défauts de ses qualités : il est certes adapté au grand public avec la simplification que cela implique, mais son prix risque de représenter un frein sérieux pour cette cible (alors que les joueurs plus sérieux auraient été ravis de dépenser la somme demandée pour un titre plus complet et fouillé). Néanmoins, le jeu offre suffisamment de contenu amusant pour se lancer à la conquête du monde, ce qui prendra une heure au moins.

La liberté laissée au joueur d’expérimenter toutes sortes de scénarios sans se prendre la tête trop longtemps, ainsi que les possibilités infinies de terminer une partie, concourent à faire de ce nouveau Civilization un titre tout à fait agréable, qui s’adaptera toutefois assez mal au rythme de ces jeux servant à passer le temps entre deux bus. Un Civilization, même simplifié, cela réclame un minimum d’investissement. Il aurait simplement fallu mettre au point un mode « expert » pour les joueurs les plus connaisseurs, ceux qui demandent une expérience plus poussée et réaliste.

avatar Mark Twang | 

"Civilization Revolution 2 s’adresse à ceux qui n’ont pas peur de s’investir sérieusement dans un jeu"

S'investir dans un jeu. Drôle de civilisation que la notre.

avatar hdam59 | 

@Mark Twang :
Et pourquoi pas? On s'investit bien dans la lecture d'un roman, dans la pratique du piano ou du tennis, ou dans la fabrication d'un herbier, activités qui comportent toutes une composante ludique… Il faudrait développer votre idée afin qu'on comprenne bien ce qui, selon vous, est une activité acceptable. ;-)

avatar oomu | 

comme tout hobby. Faut pas naître vieux.

avatar sandrine_entretien_corps | 

Il y a des jeux qui prennent beaucoup de temps... (Les sims, football manager, etc)

C'est un peu comme les livres il y a une dizaine d'années les "Dont vous êtes le héros"!
Ce genre de jeux, les jeux de simulations, ne sont pas définis à l'avance (l'histoire n'est pas déjà écrite dans les studios de création), selon les choix du joueur, il oriente sa partie vers des choix dont l'IA du jeu devra être redéfinis, parfois hors des modèles traditionnelles que l'ont peut rencontrer dans la vie courante!

Oui c'est des jeux qui prennent beaucoup de temps! Mais c'est aussi des jeux qui une fois créé, ont peu d'évolution d'une année sur l'autre, hormis la BDD (personnages, jeux, cartes, etc) donc c'est un jeu qui peu durée sur plusieurs année (4 ou 5 ans) avant de racheter une mise à jour!

avatar ovea | 

Free-au-minimum certe, mais payante également pour s'affranchir du commercial-turn qui pourrit totalement le game play … ici entièrement consacré à la stratégie

En parallèle, on attend encore un Real Racing 3 payant entièrement consacré à la (simulation de) conduite automobile de bolides différents et variés sur des circuits et des types d'épreuves nouveaux comme les 24 heures du Mans, etc.

avatar Mark Twang | 

Tout est acceptable. Je suis un gros lecteur, un musicien et un joueur entre autres choses. J'adore mettre une dimension ludique dans ce que je fais. Mais "s'investir" dans un jeu me parait vain. On s'investit dans la production de quelque chose. S'investir dans Civilisation ou un autre jeu du genre fait oublier que nous vivons nous-même dans une société qui aurait grand besoin qu'on s'y investisse.

avatar ovea | 

@Mark Twang :
Certes, mais il ne faudrait pas négliger … comment dire, la formation culturelle, historique, géographique, politique, militaire, etc de nos futures démiurges antiques afin qu'ils appréhendent mieux les enjeux actuels et y trouve leur place en en devenant les acteurs.

avatar oomu | 

un jeu comme civilisation ou un wargame ou globalement tout ce qui est très structuré avec du long terme peut être un hobby, un passe-temps dans lequel on y investit sa passion.

Ca n'a rien d'inhumain, vous devriez le savoir.

Quand au couplet sur le Sacrifice pour la Nation dans un Monde Désincarné de la Lutte, il vous faut vous rappeler que tout comme vous, les autres congénères qui circulent dans la rue, ont une vie riche et multiple.

En clair: vos priorités sont vos priorités.

avatar Mark Twang | 

Disons que c'est l'emploi de la notion d'investissement qui me paraît inappropriée. Investir, c'est prendre une part active dans un processus. Ce sont les développeurs qui se sont investis dans le jeu. Le joueur y consacre du temps libre, ce n'est pas la même chose.

avatar Gueven | 

S'investir : Mettre son énergie psychique dans une activité, un objet

Je ne vois pas en quoi, le terme est inapproprié.
Chacun est libre de s'investir dans l'activité de son choix.

avatar oomu | 

y en a qui aimeraient supprimer ce que vous nommez "liberté"

moi par exemple, j'aimerais que vous vous investissiez à fabriquer MA pyramide. Voilà un but noble et constructif où vous seriez enfin autre chose que des animaux libres, vous seriez des animaux AU service de MES lubies et MES priorités

bref, quand quelqu'un dit "pff, s'investir dans ça... quand y a des bébés phoques qui meurent chaque jour dans les mines de sel", il veut dire "MOIIII !"

avatar Gueven | 

(La définition provient du Robert)

avatar Mark Twang | 

C'est la définition du sens psychanalytique du mot Investir.

avatar Mark Twang | 

Je mets la suite de la définition du Robert : "Il a trop investi dans cet enfant, dans sa vie professionnelle. ➙ surinvestir. — v. pron. COUR. S’investir dans (une personne, une activité), y accorder beaucoup d’importance, y consacrer son énergie psychique. ➙ s’impliquer, se mobiliser. S’investir dans son travail. Bénévoles qui s’investissent dans une association."

On peut vouloir absolument réduire le sens de s'investir au fait de consacrer une partie de son temps à un loisir, mais on n'y gagne rien d'autre qu'à se priver du sens fort du mot et contribuer à rendre la langue, instrument de la pensée, toujours plus floue.

avatar oomu | 

bouhouhou. Ils sont horribles ces gens hein ?

avatar Mark Twang | 

Qui ?

avatar Mark Twang | 

Cher oomu, vous me lisez de travers (ou bien je m'explique mal, c'est possible). Je ne distribue pas les bons et les mauvais points aux gens d'après leur mode de vie. Je ne critique pas qu'on joue et j'écris que je suis moi-même un joueur. Je trouve juste étonnant qu'on mette à la même échelle l'investissement du programmeur, qui produit le jeu, et l'occupation du joueur, consommateur. On s'investit dans quelque chose qui laisse une trace, même à très modeste échelle. Ce n'est pas le cas d'une partie de civilisation. J'ai consacré des heures de mon temps libre sur Civilisation, et plus encore sur Fallout 3 (dans un autre genre). J'ai adoré ça mais je ne peux pas dire sérieusement que je m'y suis investi. Une fois les quêtes terminées, je n'ai rien accompli. Ma partie ressemble à la partie de milliers d'autres joueurs, suivant des scénarios prédéfinis. Je me suis "juste" fait plaisir, et c'est déjà beaucoup.

Cultiver n'est pas mieux que manger, s'investir n'est pas mieux que se détendre... mais c'est quand même autre chose.

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